Avant de déclarer hautement qu'il avait « trois pas-sions: la peinture, les filles et le pistolet », Molinier a été un élève indiscipliné des Jésuites, puis l'auteur de toiles impressionnistes représentant des paysages du Lot-et-Garonne. Installé définitivement en 1924 à Bordeaux, où il fut quelque temps tenancier de bar, il dessina un grand nombre de châteaux imagi-naires, commença à pratiquer l'abstraction avec la Dame blonde (1928), tache jaune sur un fond rose chair, et se décida finalement, en 1936, à exécuter « des peintures symbolistes relevant du psychisme ». Ce premier Molinier est « mort vers 1950 », commel'indique la croix funéraire dont il orna un jour son céno-taphe, avec cette inscription au-dessus d'une tête de mort : « Ce fut un homme sans moralité, il s'en fit gloire et honneur Inutile de prier pour lui ». Après cette date, un autre Molinier se déchaîna, qui entra en cor-respondance avec André Breton et poursuivit une oeuvre lyriquement scandaleuse. Son tableau Le Grand Combat, furieux accouplement lesbien, fut condamné à être retiré du Salon des Indépendants de Bordeaux, en 1951 ; Molinier refusa de le décro-cher, le recouvrit seulement d'un calicot noir sur lequel il épingla une protestation défendant les droits de l'artiste. En 1956, il fit sa principale exposition à la galerie surréaliste de l'Étoile scellée à Paris, sous le patronage de Breton qui retint pour sa collection Succube et La Comtesse Midralgar. Dans son atelier du Grenier Saint-Pierre à Bordeaux, rempli de fétiches amoureux, Molinier a composé des mêlées sensuelles et cruelles de femmes, aux baisers vampiriques, aux caresses griffantes ; l'héroïne sadique de ces orgies le représente lui-même, il la considère comme son double féminin (Les Dames voilées, 1955 ; Le Réveil de l'Ange, 1960 ; Les Jumelles amoureuses, 1962). Le film que lui consacra en 1964 Raymond Borde, d'abord interdit par la censure, fut présenté en 1966 au Festival de l'Érotisme de Bordeaux, et y suscita une longue ovation du public. Pierre Bourgeade, dans Le Mystère Molinier (1997), a décrit sa manière de peindre : « Le plus souvent il partait d'un dessin d'après le modèle, d'une pho-tographie ou de pures constructions imaginatives... après quoi venaient une ou plusieurs esquisses, par-fois dans les tons sépia... dont la dernière annonçait le tableau définitif, » II peignait celui-ci en contrô-lant son reflet dans un grand miroir dressé à côté de lui. Afin d'obtenir « la couleur érotique » dans sa peinture, Molinier se masturbait pour la vernir avec son sperme au moyen « de la pointe d'un bas de femme utilisé comme tampon » précise Bourgeade, en affirmant que ce vernis spécial est le secret du « vert Molinier », aussi aisément identifiable par les amateurs que « le vert Véronèse ». Délaissant à la fin de sa vie la peinture, Molinier composa un livre d'images, Le Chaman et ses Créatures, qu'il termina en novembre 1970. C'est un album de cinquante-trois photomon-tages, deux photos, neuf diapositives et neuf dessins. Sa tension permanente devait le briser. Pierre Molinier se suicida le mercredi 3 mars 1976, en laissant cette précision : « Heure du crime de moi-même, 19h 1/2.» 

Pierre Molinier

Né en 1900 à Agen, mort en 1976 à Bordeaux. 

Photocollage, c. 1970