Enfant prodigue du dadaïsme et du surréalisme, il a mené la vie brillante d'un génial dilettante, semant à tous vents poèmes, tableaux, scandales, traits d'esprit. Né d'un père espagnol, attaché à la Légation de Cuba, et d'une mère française, il entra en 1895 à l'École des arts décoratifs de Paris, prit ensuite des leçons avec Pissarro, et devint un peintre impres-sionniste si habile que sa première exposition, en 1905, à la galerie Haussmann, comprenant des pay-sages, fut un triomphe. Rompant le contrat qui le liait, il tourna le dos à ce genre de succès pour peindre Caoutchouc (1909, Paris, musée national d'Art moderne), où il découvrit un an avant Kandinsky la peinture abstraite. Épousant en 1909 Gabrielle Buffet, Picabia parcourut avec elle l'Espagne ; les scènes qu'il vit dans la Sierra Morena lui inspirèrent Procession à Séville (1912) et Danses à la source (1912, Philadelphie, Museum of Art). En 1912, il rencontra Apollinaire qui donna un nom à sa peinture de cette époque : l'Orphisme. La période orphique de Picabia, qui s'étend de 1912 à 1915, est illustrée par Udnie (1913, Paris, musée national d'Art moderne), évoquant une danseuse, et par Edtaonisl (1913, Chicago, Art Institute). De là il passera à une « période mécanique » consis-tant en descriptions de machines réelles ou imagi-naires, parodiant des épures d'ingénieurs. En 1917, il fonda la revue 391 et publia son premier recueil de poèmes, Cinquante-deux miroirs. Dès 1920, lié avec Breton et le groupe de Littérature, il se lança impé-tueusement dans le dadaïsme, stimulant les mani-festations, finançant les revues, rédigeant des livres impertinents tels Unique Eunuque (1920) et Jésus-Christ rastaquouère (1920), composant des collages avec des allumettes ou des bigoudis et peignant des tableaux au ripolin. Il contesta le surréalisme naissant en lui opposant l'instantanéisme en 1924, il fit le livret et les décors de Relâche, « ballet ins-tantanéiste » ; mais par la suite il participa à l'action de ses amis surréalistes, en gardant ses distances. Héritant d'un oncle richissime, Picabia fit construire selon ses plans le « Château de Mai » à Mougins, près de Grasse. Il s'y installa dès 1925, et pendant dix ans il s'enivra de luxe, courant les boîtes de nuit, faisant des croisières sur son yacht L'Horizon, pré-sidant des concours et des banquets, organisant pour la municipalité de Cannes des fêtes mémo-rables, comme la Nuit tatouée et le Bal des Cannibales. Après avoir clos la période des « Monstres » (1922- 1925), personnages bariolés avec quatre yeux ou deux bouches, il traversa la période des « Transpa-rences » (1927-1935) où il peignait plusieurs motifs en surimpression les uns sur les autres. En 1936, abandonnant le Château de Mai, il vécut dans une garçonnière à Paris, puis, en 1939, il alla habiter, avec Olga Mohler, Golfe-Juan et commença des nus de style conventionnel. Après la Libération, il revint se fixer à Paris, exposa en 1946 chez Denise René des oeuvres qu'il qualifia de « sur-irréalistes ». Remis en vedette par sa rétrospective « Cinquante ans de plaisir » chez René Drouin en 1949, il continua de créer poèmes et tableaux, ralliant les suffrages d'une jeunesse enchantée de trouver en lui, selon le mot de Duchamp, un « plus que peintre ».

Francis Picabia

Né en 1879 et mort en 1953 à Paris. 

Hera, Huile sur carton, 1929