Labisse fit d'abord ses études au collège Saint-Jean de Douai, et lorsque sa famille se transplanta à Zeebrugge, sur la mer du Nord, il décida d'entrer à l'École de pêche d'Ostende. Il serait peut-être devenu un capitaine de marine marchande sans la rencontre, en 1923, de James Ensor, qui passait alors pour le peintre flamand le plus scandaleux. Il se mit à peindre sous son influence, anima le Club des Ostendais (comprenant Michel de Ghelderode, Franz Hellens, Permeke, etc.), et écrivit dans la revue Tribord dont il fut rédacteur en chef. Sa première exposition, à la galerie d'Art moderne d'Ostende, en juillet 1928, lui valut ce compliment d'Ensor : « Peintre extraordi-naire, vos accents déchirants déforment des femmes dominées par l'effroi. » Labisse vint s'installer en 1933 à Paris, où il se lia aussitôt avec un jeune acteur, Jean-Louis Barrault, qui lui demanda de faire le décor et les vingt-cinq costumes de sa première réalisation au théâtre de l'Atelier, Autour d'une mère (1935). Tout en devenant un décorateur réputé, à qui on ne cessa de passer des commandes, Labisse s'imposa comme peintre à partir de son exposition de 1938 au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles. Sa peinture, comme celle de Paul Delvaux, nous plonge dans un univers de femmes nues, mais les siennes ont la peau bleu azur ou rouge grenat, ce qui les rend comparables à des fleurs artificielles ou à des figures de cire. Labisse chercha visiblement à exprimer « l'inquiétante étran-geté » de l'érotisme.


Pendant la guerre, restant à Paris, il fut l'ami de Robert Desnos, dont il illustra de neuf illustrations en couleurs Le Bain avec Andromède (éditions de Flore, 1944). Desnos, en retour, écrivit un livre sur lui, Félix Labisse (éditions Sequana,1945), préfacé par un poème de Paul Éluard. Dans l'après-guerre, son Histoire naturelle (1948), trente dessins et trente textes, décrivit une série d'êtres fantastiques, chacun étant dessiné sur une page et commenté sur celle d'en face : le Cyclope des marais, l'Arthus des sables, la Guivre-Guénégote, le Perce-Aurore, le Rose-Pleurs, la Sangsue-Satan, le Fluviot, etc.


Adopté par tous les surréalistes dissidents (notam-ment par « la bande à Prévert »), Labisse fut séparé d'André Breton par divergence politique, car il s'asso-cia aux « surréalistes révolutionnaires » qui s'atta-quèrent au poète au nom du communisme en 1947. Mais quand le groupe officiel de Paris eut sa gale-rie attitrée, l'Étoile scellée, Breton y organisa en 1954 l'exposition de conciliation « Dominguez, Magritte, Labisse », avec deux collages de Labisse sur l'invi-tation. Labisse publia ensuite un « almanach fati-dique », Le Sorcier des familles (J. Lambert, 1957), textes et illustrations sous forme d'un calendrier comportant, pour chaque jour de la semaine, le saint, le diable, l'homme du jour à honorer, et la recette de sorcellerie à employer. Breton écrivit alors à Labisse : « Par-delà ce qui a pu nous opposer quelque-fois, laissez-moi vous dire que je goûte à l'extrême votre Sorcier des familles... Vos donneurs de conseils, plus ils passent, sont étonnants. Vos diablesses sont magnifiques. Voilà un ouvrage surréaliste tel que je l'entends. Je vous en félicite très chaleureusement. »


Après sa rétrospective de juillet 1960 à Knokke-le-Zoute, montrant cent cinq peintures, Labisse pei-gnit en 1962 une suite de Libidoscaphes, créatures symbolisant les désirs inavouables masqués par les convenances. Dans sa dernière période, à partir de la rétrospective à Charleroi en février 1970, il demeura fidèle à ses femmes à la peau bleue (Le Bain tur-quoise, 1968 ; Les Princesses du sang, 1970), et à ses scènes oniriques bien léchées.


Felix Labisse 

Né en 1905 à Marchiennes, Belgique, mort en 1982 à Neuilly-sur-Seine. 

Le Conseil de Sang, 1973